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"Comment ça ? Un tunnel, mais pas question ! Et en plus, il faut revenir sur nos roues !" "Suez, le canal, c'est pas ici qu'on traverse ?" Il faudra pourtant se résigner à faire des kilomètres pour trouver le tunnel de Suez. Terminée la route de la Méditerranée, on change de mer et de continent.
Debout sur mes pédales, j'essaie d'apercevoir les bateaux du Capitaine Haddock qui défilent sur l'horizon, ne laissant paraître que des silhouettes épurées à contre jour dans la lumière du soir. Le soleil se dessine à l'ouest. Nous descendons vers le sud, sur une autre terre, un autre désert, le Sinaï. D'abord une côte poussiéreuse, couleur de sable avec des reliefs poussant vers le levant. Je suis ravie de voir que quelques accidents de la nature viennent troubler le rythme du paysage. En fin d'après-midi, nous fûmes happées par Myriam et ses consœurs. Oyun Mosa. Traverser le sable mou, s'installer près de sa bicoque aux mille trésors. Des gamins grimpent sur nos vélos, des chiens errants nous entourent de silence. Des dollars plein les poches, quelques bribes d'anglais, d'allemand ou d'italien ponctuaient chacune de ses phrases. Elle vendait des pacotilles, avait soif de connaissance et un cœur gros comme ça. Ce sont les bédouins du Sinaï, curieux, ouverts, parfois embarrassés de voir ces cyclistes fouler le même sol que celui de leurs dromadaires. Nomades aussi nous le sommes avec nos montures, mais la comparaison s'arrêtera là.
On s'installe le soir, des épines d'acacia comme tapis de fortune. Les narines dérangées par la fumée âcre d'un feu de bois qui laissera son empreinte pendant de longs jours sur nos vêtements, et partageons dans le silence du désert des thés brûlants qui viendront chatouiller notre vessie toute la nuit.
Le ciel est noir, les djebels dessinent de grandes ombres sur le sol aux reliefs incertains. Une peur indicible envahit mon esprit. Le lendemain, vers 06h00, la lumière du jour filtre de derrière la montagne. Les bagages pour la énième fois installés sur nos vélos, nous quittons notre campement. Quelques heures plus tard, le soleil blanchit et des traînées de couleur découpent le paysage en des couches brunes, ocres, rouges, savamment superposées, répandues, semblables à une épine dorsale qui déroule son long corps à l'infini.
Érodées, malmenées par le vent, les montagnes dégoulinent de sable, envahissent le décor immobile et soudain se jettent dans un lit de poussière. Une oasis de poudre aux tons plus sombres apparaît dans un paysage qui semble avoir à tout jamais oublié le vert. Seul l'asphalte noir, long cordeau serpentant doucement au cœur de ce monde minéral, trace immanquablement le chemin qui nous conduit vers un vaste plateau parsemé de quelques habitations. Des montagnes l'enveloppent de toute part. "Montagne célébrée", celle où Moïse aurait reçu les Dix Commandements : le Mont Sinaï.
Grimper les 3000 marches de la repentante et découvrir des successions de roches écorniflées, posées à l'endroit, à l'envers, sculptant des hauts reliefs suivis de creux aux formes identiques. Comme un paysage dans un paysage qui s'étend vers l'infini. Je laisse mon regard suivre une piste imaginaire, se faufiler au rythme d'une caravane chaloupant doucement là-bas vers la Mer Rouge.

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